LA PERVERSION NARCISSIQUE N’EXISTE PAS ? NOTRE AVIS
Dans un contexte où la communication est accessible à tous et propageable à grande échelle, il est facile de donner son opinion en un clic et la voir potentiellement devenir virale. Et souvent, lorsqu’un phénomène fait le buzz, émerge presque automatiquement un contre-buzz. Ainsi, les médias se sont mis à parler massivement des PN et l’engouement du public pour le sujet a amené différentes personnes, parmi lesquelles des psy, à s’insurger contre cette idée, clamant haut et fort que la perversion narcissique n’existe pas. Analysons les fondements de leur positionnement pour faire avancer la réflexion.
Sommaire
Avant-propos : Comprendre l’opinion opposée
Même si le nom de ce site indique clairement son positionnement contre l’idée que la perversion narcissique n’existe pas, il nous semble important de considérer les opinions divergentes afin d’entretenir une démarche de progression. Pour qu’un débat soit porteur, il faut accueillir les arguments adverses avec une grande ouverture d’esprit et être prêt à changer d’avis si la démonstration est suffisamment convaincante. Voici ce que les anti-PN disent et ce que nous en pensons.
1. L’argument nosographique contre l’existence des MPN
La nosographie, c’est la “Description et classification des maladies d’après leurs caractères distinctifs.” En psychologie, c’est le plus souvent le DSM-V (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux dans sa 5e version) édité par l’APA (American psychiatric association) qui fait référence. Il existe aussi la CIM (Classification internationale des maladies) actuellement à sa 11e version, qui est fournie par l’OMS (Organisation mondiale de la santé). Aucun de ces deux ouvrages n’emploie le terme de perversion narcissique. C’est le principal argument avancé pour contester l’existence du profil PN. En d’autres termes, puisqu’il n’est pas reconnu par les références scientifiques internationales, alors il n’aurait aucune légitimité en tant que pathologie.
Pourquoi l’argument nosographique ne suffit pas à nous convaincre :
Le processus d’admission d’un nouveau critère, d’une nouvelle classification ou d’une nouvelle catégorie dans le DSM, autant que dans la CIM, est très long. Il requiert de nombreuses recherches et un recul scientifique de plusieurs années. Si l’on prend l’exemple de l’ESPT (état de stress post-traumatique) il aura fallu attendre plus de 60 ans entre la 1re version du DSM (1952) et la 5e (2013) pour parvenir à une définition plus proche du ressenti des patients. En effet, selon le DSM-I, l’ESPT ne concernait que les situations de combat militaire et de catastrophe civile. Aujourd’hui, il inclut les victimes et les témoins (directs et indirects) d’atteintes physiques et psychologiques, et même les agresseurs (lorsque ceux-ci ont agi sous la contrainte d’une autorité). Notons également que l’entrée de la pathologie dans le manuel survient plus d’un demi-siècle après les travaux d’Oppenheim (suivi par Freud) sur la “névrose traumatique”. Au total, le processus a duré bien plus d’un siècle ! Il n’y a d’ailleurs qu’à se rendre compte du nombre important de révisions de ces ouvrages pour admettre qu’ils sont en évolution perpétuelle. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’une pathologie n’est pas encore répertoriée qu’elle ne préexiste pas à son apparition dans la littérature scientifique.
2. L’argument théorique d’un phénomène non observé en conditions scientifiques
Remontons un peu dans le processus d’acceptation de la pathologie pour nous intéresser à la recherche. Il existe assez peu d’études scientifiques sur la perversité narcissique. “Si le sujet n’attire pas les chercheurs, c’est qu’il est bancal”, diront volontiers les détracteurs de la notion. Ou pire : “Si aucune publication sérieuse n’en parle, c’est que les études n’ont pas abouti à des résultats probants.” Mais l’absence d’analyse d’un phénomène justifie-t-elle d’ignorer ce dernier ?
Notre explication au fait que la perversité narcissique est peu étudiée :
C’est un fait, les pervers narcissiques ne sont pas un sujet facile à appréhender dans un cadre protocolaire visant à étudier leur personnalité. Malgré les travaux de Marie-France Hirigoyen et Alberto Eiguer, les démarches empiriques, c’est-à-dire basées sur l’expérience et l’observation, ne sont quasiment jamais confirmées par une approche méthodique susceptible de conférer à la problématique une consistance scientifique. Il y a plusieurs explications à cela, liées aux caractéristiques fondamentales de la personnalité narcissique :
- Les PN sont les maîtres de la dissimulation et de la manipulation. Même s’ils se plient à l’analyse de leur personnalité, ils sauront masquer habilement leur nature profonde. N’oublions pas qu’en plus de leur entourage, ils sont capables de fourvoyer les experts, les psychologues, les médiateurs, les juges, etc.
- Les narcissiques pathologiques consultent rarement des thérapeutes ou décrochent très rapidement d’une telle démarche (notamment dans le cadre d’une thérapie de couple), puisqu’ils n’ont aucune conscience de leur maladie et sont incapables de se remettre en question.
que l’on mesure un tant soit peu l’extrême perversité présente dans l’esprit torturé de ces vampires émotionnels, il est tout simplement invraisemblable d’espérer compter sur leur concours pour faire avancer la science à leur sujet.
3. L’argument nuancé qui dit que la perversion narcissique n’existe pas en tant qu’appellation
La plupart des personnes contre l’idée d’un profil pervers narcissique ne rejettent pas le phénomène en soi, mais plutôt sa dénomination. Certains argumentent qu’un pervers est, par essence, lié à sa proie et ne peut donc exister que par rapport à autrui. Ce fait place le narcissisme à l’opposé, puisqu’il relève d’une nature autocentrée dans laquelle l’autre n’est que le miroir renvoyant le reflet espéré. Ainsi, l’expression contiendrait une contradiction qui suffirait à l’invalider. Or, les 2 cas se rejoignent sur l’idée qu’autrui n’est pas perçu comme un individu à part entière. On observe une réification, c’est-à-dire une instrumentalisation de l’autre. Le pervers tire sa jouissance de la maltraitance qu’il inflige à l’autre et le narcissique a besoin de se reconnaître à travers le regard extérieur. Nous rejetons donc cette contradiction qui élude la véritable fonction de la victime du point de vue du sujet analysé.
Le débat qui offre le plus matière à réfléchir selon nous
Revenons au DSM et à la CIM et penchons-nous encore sur la forme pure. Si la perversion narcissique n’existe pas dans ces véritables bibles de la psychologie et de la psychiatrie, y est néanmoins mentionné le TPN (trouble de la personnalité narcissique). Ses caractéristiques admises à niveau international décrivent “schéma persistant de grandiosité, de besoin d’admiration et de manque d’empathie” et sont parfaitement applicables au MPN tel que nous l’appréhendons sur ce site ou en consultations avec nos patients des 4 coins du monde. De plus, le profil narcissique pathologique dépeint par le manuel est celui qui présente le plus de comorbidités, c’est-à-dire de troubles associés. Il peut ainsi cumuler des traits de personnalité borderline, antisociale ou paranoïde. En définitive, tout porte à croire que l’aspect un peu vague que l’on peut effectivement reprocher au terme de pervers narcissique et qui explique l’absence de consensus relève plutôt de l’étendue des combinaisons possibles entre différentes manifestations de dysfonctionnements psychiques. Le phénomène de la perversion narcissique est donc réel, mais tout simplement difficile à diagnostiquer et par conséquent, à catégoriser.
Affirmer que la perversion narcissique n’existe pas, c’est lancer une polémique sous une forme volontairement provocante qui vise à faire réagir. La question de l’intentionnalité doit donc se poser. Il y a d’une part, les contestataires qui réfutent purement et simplement la réalité d’un phénomène qui touche de nombreuses personnes. D’autre part, il y a ceux qui se servent de ce postulat pour attirer l’attention sur une discussion que les spécialistes n’ont pas encore réussi à résoudre, ce qui peut alimenter la réflexion. Faute de mieux, nous choisissons de continuer d’utiliser ce terme dont l’usage est tellement ancré qu’il a le mérite de poser une réalité, surtout lorsque l’on sait que le déni de la souffrance d’une victime est un frein à sa reconstruction.