La stigmatisation de victime de PN est très fréquente, pour ne pas dire systématique. Toutefois, cet opprobre, censé être jeté sur les personnes déviantes de la norme de société, ne devrait pas concerner celles qui ont subi des abus.
Ce serait plutôt à leur bourreau, en l’occurrence et dans notre thématique, le pervers narcissique.
Pourtant, le phénomène de culpabilisation et de réprobation sociale de la personne vulnérable existe bel et bien, lui causant des dommages supplémentaires. Comment le groupe social en vient-il à rejeter la personne innocente plutôt que le coupable ?
Explication.
Pourquoi stigmatiser ?
La stigmatisation de victime de PN pose avant tout la question du stigmate en lui-même. À l’origine, il s’agit d’une marque du supplice infligé au Christ.
Cette notion de marque est importante, car elle indique la volonté d’exposer le rejet populaire de la personne stigmatisée au vu et au su de tous.
Ainsi, il n’est laissé aucune place à la rédemption et à la réhabilitation. L’histoire nous a appris que ce marquage pouvait se faire dans la chair ou par un signe extérieur et visible (comme la tenue vestimentaire avec l’étoile juive ou l’uniforme de prisonnier, par exemple, ou encore la tonte de cheveux, etc.).
L’intention est d’associer durablement, voire définitivement, la personne aux faits qui lui sont reprochés.
Mais d’où vient ce besoin de montrer le bannissement social, alors que le jugement a, de toute évidence, déjà été prononcé ?
Pourquoi s’acharner à coller une étiquette dévalorisante à quelqu’un qui se trouve seul contre tous ?
Les réponses résident dans les apports de la psychologie sociale et notamment, dans l’étude des dynamiques de groupe.
L’effet d’entraînement du groupe
Gustave Le Bon, psychologue social, sociologue et anthropologue, envisageait la foule comme une “âme collective”.
Sa théorie confère à l’entité groupale trois états psychologiques caractéristiques :
- L’irresponsabilité : elle désigne la décharge de responsabilité individuelle dans les phénomènes de groupe. Les inhibitions de chacun sont anesthésiées et la multiplication des forces donne une sorte de “puissance invincible” et non imputable à une seule personne qui devrait éventuellement en assumer les conséquences.
- La contagion : elle invoque la tendance des membres d’un groupe à suivre, sans remise en cause, les idées dominantes. De plus, celle-ci est renforcée par l’émotion partagée de l’intérêt collectif qui supplante l’intérêt personnel.
- La suggestibilité : elle se réfère à la propension à mettre immédiatement en actes les idées suggérées. Un état hypnotique d’“attention expectante” envers la conscience collective inhiberait les facultés intellectuelles individuelles.
Pour en arriver à stigmatiser une victime, il faut donc se plier à une majorité d’opinions qui peut être constituée par le cercle social, mais aussi par la société elle-même.
C’est pour cela que nous combattons fermement l’idée que les pervers narcissiques n’existent pas. C’est un préjugé qui mène tout droit à la stigmatisation de leurs victimes, comme nous allons le voir.
Rôle des préjugés dans la stigmatisation des victimes
Les préjugés et les stéréotypes sont aux fondements de la stigmatisation. Pourtant, à la base, ils se constituent en outils facilitant la rationalisation.
Pour faire simple, on catégorise pour aller plus vite dans le jugement. Malheureusement, ces raccourcis de raisonnement sont ce que l’on appelle des biais cognitifs. Outre le biais de conformisme à la majorité que nous venons d’expliquer, il y a aussi la croyance en un monde juste.
C’est ce qui nous fait penser par exemple que si le sort semble s’acharner sur un individu, c’est qu’il l’a surement mérité. Cette impression de justice divine ou de karma est en réalité une façon de se persuader que le malheur n’arrive pas par hasard.
Donc, si une victime de PN souffre, se dire qu’elle n’est peut-être pas si innocente que ça permet de se dédouaner d’un éventuel dilemme moral.
Ensuite, il y a l’effet de halo qui nous intéresse pour ce thème. Il consiste à inférer des caractéristiques supplémentaires à une personne selon la valeur qu’on lui octroie de base.
Ainsi, un individu plutôt beau se verra attribuer sans preuve des adjectifs valorisants (sympathique, intelligent, généreux, etc.).
Pour la victime de PN souvent taxée de faiblesse de caractère, on lui reprochera volontiers d’être triste, ennuyante, centrée sur ses problèmes, etc.
Le plus dérangeant dans ce cas de figure, c’est que cela peut être en partie vrai, mais on oublie qu’elle traverse une période extrêmement difficile.
La façon dont elle se présente n’est pas définitive, à condition qu’on l’aide à s’en sortir ou du moins, qu’on n’empire pas sa situation. Le manipulateur pervers, habitué à pratiquer l’inversion accusatoire, n’aura pas manqué de faire savoir à tout l’entourage qu’elle est folle, ou bien qu’elle est la source de tous les maux.
Ce n’est donc pas le moment de se rallier à la cause du coupable en retenant contre la victime tout ce qu’elle livre de sa détresse et, le plus souvent, en toute confiance.
En d’autres termes, quelqu’un qui veut réellement se porter en soutien d’une victime de PN doit absolument être clair sur ses croyances envers elle, car il est malheureusement trop facile de tomber dans le piège du jugement négatif sur une personne vulnérable.
Et lorsque le cercle vicieux est lancé, cette dernière en vient elle-même à s’autosaboter.
Les dangers de l’autostigmatisation
Parmi les effets les plus pervers de la stigmatisation, il y a l’autostigmatisation. Comme son nom l’indique, cela consiste à s’assigner à soi-même toute la responsabilité et la culpabilité de ce qui nous afflige.
Parfois, ce phénomène est inconscient et tellement insidieux, qu’il peut mener à ce qui est connu sous le nom de prophétie autoréalisatrice.
À force de considérer quelqu’un comme coupable, il finit par adopter inconsciemment les comportements allant dans le sens de sa culpabilité. En quelque sorte, il finit par s’identifier au rôle qui lui a été injustement attribué.
C’est ce qui se passe notamment dans les situations de jalousie dans les couples. Parfois, se voir fréquemment soupçonné d’adultère pousse à la faute, comme si cela rééquilibrait l’injustice.
Cela revient à se dire “accusé pour accusé, autant l’être pour quelque chose de concret”. Pour une victime de manipulation sentimentale, elle finit effectivement par considérer que c’est surement elle, la perverse narcissique et par montrer une attitude manipulatrice et dénigrante.
Par ailleurs, il existe une autre façon de se rendre responsable d’un fait qu’on n’a pas commis. C’est un mécanisme connu comme étant la menace du stéréotype.
À la base, il y a une croyance erronée, mais bien ancrée. En situation expérimentale, il a été prouvé que lorsque le cliché était activé, les performances étaient moins élevées pour l’échantillon de population ciblée par le stéréotype.
Cela a été illustré par exemple par Steele et Aronson avec des étudiants américains noirs, d’une part, et étudiants américains blancs, d’autre part.
L’anxiété générée par le risque de confirmer le stéréotype qui pesait sur le groupe d’étudiants afro-américains avait effectivement diminué leurs scores.
En d’autres termes, on finit par incarner malgré nous ce que l’on croit de nous, que ce soit les autres ou nous-mêmes.
La stigmatisation de victime de PN est un réflexe certes, relativement humain, mais qu’il faut combattre à tout prix.
Cet acte, basé sur des croyances erronées, constitue une erreur de raisonnement qu’il faut corriger. Non seulement elle empêche les gens d’utiliser leurs capacités intellectuelles de façon optimale et dans le libre arbitre, mais en plus, elle décuple l’animosité envers des personnes vulnérables.
À son paroxysme, le rejet par le groupe peut mener à des situations beaucoup plus propices à l’agressivité et à la méchanceté.
C’est ce qui se passe dans le cas du harcèlement et on ne sait que trop bien combien il peut engendrer des actes aussi dramatiques que le suicide.