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Épisode 5 : Pouvoir(s)

Rédaction : Pascal Couderc, psychologue, psychanalyste et auteur, président du comité scientifique de pervers-narcissique.com

Épisode 5 : Pouvoir(s)

Pouvoir(s)

Le premier pouvoir auquel on pense, celui que la Nature a bien voulu octroyer, est celui de la maternité. C’est de la force physique et de la fécondité que partent toutes les ramifications de distribution des tâches entre hommes et femmes et donc, de ce qui est susceptible d’attribuer du pouvoir. Comme l’a souligné Françoise Héritier à plusieurs reprises, la différence entre féminin et masculin réside dans la fécondité (pas dans le sexe en lui-même), et c’est par le contrôle de la fécondité et de la reproduction que les hommes ont pu installer leur domination sur les femmes.

La corrélation entre statut de la femme et fécondité, comment l’une influence l’autre, dans les deux sens, a fait l’objet de nombreuses études, présentées notamment en 1988 lors de la célèbre conférence d’Oslo sur le « statut de la femme et l’évolution démographique dans le cadre du développement ».

Mais la maternité représente-t-elle un vrai pouvoir, est-elle réellement plus qu’une capacité physiologique ?

Marie, mère d’une petite Karine et compagne d’Alain, explique :

« Karine est une enfant désirée, voulue. Elle n’est pas arrivée par hasard. J’étais donc très contente de tomber enceinte. Ma grossesse s’est bien passée, mais j’ai dû me résoudre à travailler à mi-temps dès le cinquième mois, parce que j’avais beaucoup de contractions et le médecin a préféré appliquer le principe de précaution. Au bureau, mes collègues me regardaient de travers – même les femmes qui pourtant auraient pu me comprendre – parce que, à cause de moi, leur travail augmentait ! Puis Karine est née ; Alain a assisté à l’accouchement. Il m’a beaucoup soutenue, tout comme durant la grossesse, mais c’était quand même sur moi que tout reposait ! Après la naissance, j’ai eu un peu de mal à me remettre ; j’étais très fatiguée. J’ai traversé une période difficile ; Alain m’aidait du mieux qu’il pouvait. Quand nous avons commencé à alimenter la petite au biberon, il se levait parfois la nuit à ma place. Maintenant tout va bien, et si c’était à refaire je le referais, mais il faut quand même avouer que la femme supporte la majeure partie de l’enfantement, avant, pendant, après. Et cela change forcément tout son quotidien. »

La maternité est à envisager comme un don, à la fois plaisant et encombrant, plus qu’un « pouvoir » : elle assigne la femme à un rôle qui risque d’être unique, si cette dernière se trouve totalement accaparée par son devoir. La mère, oui, connaît le mystère de la vie à l’intérieur de soi et, par l’allaitement, savoure le plaisir de nourrir, de « remplir » sur la seule ressource de son propre corps. Par la grossesse puis pendant la période postnatale, elle accomplit un acte de prolongement idéal, mais cela ne lui attribue pas de véritable pouvoir, sinon celui d’être en mesure d’affirmer : « Moi, je sais ce que l’on ressent, j’ai un lien privilégié avec mon enfant. » L’homme, percevant et jalousant peut-être cet avantage, a eu bien vite fait de le rééquilibrer, parfois même de le contrecarrer : on dénombre maints exemples où l’enfant est soustrait à l’attention de la mère, souvent très jeune, soit pour des motifs plus ou moins religieux, soit simplement par usage. Dans beaucoup de sociétés, l’éducation est une affaire d’hommes, surtout envers les enfants mâles. Les nourrices, duègnes, précepteurs et autres substituts ont éloigné les mères. Aujourd’hui, même si ces usages sont devenus obsolètes et que le couple est simplement « équitablement » attentif à l’enfant et aux soins qu’il requiert, la vie active des femmes, liberté chèrement gagnée, amoindrit à son tour le rôle prépondérant de la mère. Pour tenter d’enrayer cette dernière inégalité, les congés de paternité ont récemment été mis en place, et on observe également un nombre croissant de pères au foyer, même si ces solutions restent minoritaires.

Cependant, la femme porte l’enfant de l’homme, et non le contraire. Certaines sociétés emphatisent d’ailleurs l’importance de la maternité : ce qui compte, ce qui « fait la différence » entre l’homme et la femme n’est pas le sexe, mais la capacité d’enfanter, la fécondité, et la femme stérile a alors un statut à part ; elle est considérée comme une enfant (chez certains peuples d’Afrique). Dans d’autres sociétés ou à d’autres époques, le féminin fait peur, il est entouré d’un mystère vaguement menaçant : le vagin est ce lieu mal connu (parce que « caché ») où tout advient.

De la maternité à la complémentarité

L’homme et la femme forment a priori une équipe « nécessaire » : sans elle, pas de continuité de l’espèce. Cette complémentarité anatomique a depuis toujours trouvé son pendant dans une division des tâches. Le côté positif de la complémentarité, c’est qu’elle crée du « lien » : « Tu fais ceci, je fais cela. » Nous dépendons chacun réciproquement de la compétence de l’autre. La collaboration est synonyme d’efficacité.

« En dehors de son rôle de père, Alain est aussi très actif, dit Marie. Si nous sommes complémentaires ? Bien sûr ! Il accomplit des tas de choses que je serais bien incapable de faire ! Il déplace l’armoire quand nous voulons nettoyer derrière… Je plaisante, mais il ne faut pas se leurrer : tout ce qui dépend strictement de la force physique lui incombe forcément, parce que moi, je pèse cinquante kilos tout habillée… Mais il n’y a pas que cela. La cuisine, par exemple, c’est son domaine. Il adore concocter des plats et il le fait nettement mieux que moi, sauf pour les desserts. Je suis spécialiste ès desserts. Dans l’ensemble, oui, je constate que nous sommes très complémentaires. Je pense que c’est notre force : j’ai besoin de lui ; il a besoin de moi. »

De la complémentarité à l’inégalité

On retrouve toujours, dans toutes les sociétés et de tout temps, une répartition sexuelle des rôles, des devoirs, lesquels sont d’abord choisis selon le double critère de la force du corps et de la maternité. Pour cette raison, la complémentarité homme-femme semblerait suggérer une hiérarchie : il existe une échelle des valeurs dans les compétences. En effet, si la complémentarité est porteuse d’un certain équilibre, force est de constater que l’homme a souvent le beau rôle, dans le sens où on lui attribue les tâches « nobles », ou bien il est « investi » de capacités techniques supposées lui être naturelles, comme le maniement de la perceuse ou du tournevis, lequel ne requiert pourtant pas une force herculéenne ni un entraînement sportif de haut niveau. Toutes les femmes se sont un jour entendu dire : « Laisse-moi faire, tu n’y connais rien », « Tu vas tout casser », « Tu vas te faire mal »… Aussi, le critère d’attribution des tâches et des compétences ne dépend pas toujours de ce dont la Nature nous a dotés…

De plus, les sociologues s’accordent tous à constater que la différenciation des rôles homme/femme a pour objectif de maintenir la cohésion de la famille et le bon fonctionnement du système familial. Mais tout processus de différenciation induit des inégalités…

De l’inégalité à la domination

Dans l’humus de l’inégalité, la domination germe facilement. Or les générations précédentes ont vécu sur ce mode de relation. Les femmes n’ont le « droit » de voter que depuis quelques décennies ! Dans beaucoup de pays, de cultures, l’homme domine encore largement. C’est en somme la loi du plus fort, parfaitement illustrée par les expressions communément utilisées de « sexe faible » et « sexe fort »…

Cependant, de nos jours, tout est remis en question entre hommes et femmes. Avec la contraception et les progrès de la médecine, l’assujettissement au corps a perdu de son importance. Le mouvement féministe est d’ailleurs né parallèlement à l’évolution scientifique. Les hommes, de leur côté, assument désormais parfaitement des tâches, des rôles qui répugnaient à leurs aïeux. Ne voit-on pas, chaque jour, à la télévision, des publicités où c’est l’homme qui sort le linge de la machine, tout content d’avoir obtenu un blanc « technique » ? Les professions autrefois réservées aux hommes ne sont-elles pas maintenant plus accessibles aux femmes ? Les repères se déplacent, les frontières s’effacent. Dans cette sorte de « Far West social », comment vont s’organiser les futures relations entre les genres féminin et masculin ? Ce manque de contraintes préétablies va-t-il amener la manipulation quotidienne à s’exercer davantage ? Autrefois, l’homme disposait d’« instruments » sociaux lui assurant un pouvoir de coercition sur la femme. Aujourd’hui, beaucoup moins… La femme est plus indépendante, du moins parce qu’elle travaille. De son côté, celle-ci a été habituée, par le passé, à mettre en œuvre des manipulations au sein du ménage, notamment pour contrecarrer le pouvoir masculin. Il apparaît donc licite de se poser la question du devenir du couple et de s’interroger sur le lien entre le mécanisme de la manipulation et les grands changements sociaux de notre époque …

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