RÉIFICACTION ET PN : les dangers de se laisser chosifier
Avoir la “boule au ventre”, sentir des “aiguilles dans les doigts”, le “feu dans la poitrine” ou encore un “poignard entre les omoplates” sont des exemples de réification. À l’origine, il s’agit tout simplement d’un processus mental dans lequel on donne une forme tangible à une notion abstraite telle un sentiment ou une sensation. Mais quel est donc le rapport entre la réification et le PN ? Pour la psychanalyse, cette opération psychique est beaucoup plus complexe que le fait d’imager des concepts. Cela concerne surtout les liens que certains individus entretiennent avec d’autres. Ainsi, voyons comment un sujet atteint du trouble de la personnalité narcissique réifie sa proie et quels effets nocifs ce mécanisme de chosification provoque sur elle.
Sommaire
Que signifie “réifier” selon la psychanalyse ?
La réification et le PN n’étaient pas censés aller de pair. En effet, le terme “réifier” a émergé sous l’impulsion de Georg Wilhelm Friedrich Hegel, philosophe allemand du XIXe siècle. Celui-ci l’a utilisé dans un premier temps pour décrire le processus par lequel la pensée abstraite ou les idées sont converties dans notre esprit en notions concrètes ou en objets et comment cela peut influencer notre perception de la réalité. La chosification permettait essentiellement de sortir du champ immatériel et conceptuel pour entrer dans une certaine tangibilité sur laquelle il est plus facile d’agir. Plus tard, le terme a été adopté et développé dans le cadre de la psychologie pour désigner des phénomènes tels que la déshumanisation et la transformation des individus en objets, aspect qui prend tout son sens dans l’étude des stratégies perverses des narcissiques pathologiques. Le mot dérive du latin “res” qui désigne une “chose” ou un “objet”, et du préfixe “ifier”, c’est-à-dire “faire devenir”. Le tout signifie donc littéralement “rendre chose”.
Réifier, objectifier, instrumentaliser : quelles différences ?
La réification, l’objectification et l’instrumentalisation ne sont pas strictement synonymes, même si leur emploi indifférencié est courant. Voici quelques éléments de compréhension pour appréhender chacune de ces notions avec davantage de justesse.
La réification : de l’individu à la chose
Comme nous l’avons vu plus haut, il y a avec le mécanisme de réification une dimension déshumanisante. La personne est privée de son statut d’être humain, ce qui renie par la même occasion ses besoins, ses émotions et ses droits. Dans le cas de la manipulation sentimentale, la proie réifiée devient une source de gratification pour le manipulateur. Ce n’est donc plus une fin en soi au sens de la philosophie kantienne, mais un objet dont on peut disposer comme bon nous semble.
L’objectification : des caractéristiques physiques avant tout le reste
Dans la théorie de l’objectification développée par Barbara Fredrickson et Tomi-Ann Roberts, la personne s’efface derrière ses caractéristiques physiques, en particulier dans un contexte sexuel. Celui qui objectifie sa victime se focalise sur l’apparence de son corps ou de certaines parties de son corps, au détriment de l’individu en tant qu’être pensant et doué d’affects et de libre arbitre.
L’instrumentalisation : l’utilité pour raison d’être
L’instrumentalisation consiste à réduire un individu à sa fonction ou à son utilité. Il devient ainsi un moyen de parvenir à toutes sortes de buts, sans prise en compte de ses besoins ou de ses désirs. Dans le contexte du MPN, l’instrumentalisation se produit lorsque la victime est exploitée pour satisfaire le manipulateur, que ce soit émotionnellement, financièrement, professionnellement, socialement ou autre. Les enfants de PN sont également des proies de choix à instrumentaliser, surtout dès lors qu’il s’agit de tourmenter, à travers eux, leur mère.
La réification dans le contexte du MPN
Dans la lignée de la philosophie hégélienne, la réification découle de la notion de reconnaissance d’autrui. Il ne s’agit pas ici d’une envie d’être admiré ou approuvé, mais bien d’être admis en tant qu’être conscient et autonome, capable de vouloir et de choisir. En effet, nier la volonté de quelqu’un, c’est lui supprimer son statut d’être humain libre. Si l’on y regarde de plus près, c’est finalement quelque chose d’assez banal, voire une norme de société actuelle. À chaque fois que l’on rejette votre décision ou que l’on vous soumet un conseil sur ce que vous auriez dû faire, on vous réifie momentanément. On suppose que votre liberté d’opinion n’a aucune prééminence sur celle de votre interlocuteur.
Or, en ôtant le pouvoir d’autodétermination, cette négation de conscience équivaut à sortir quelqu’un du règne des personnes pour le ranger dans le règne des choses, pour reprendre l’expression de Kant.
Ainsi, une chose n’a plus de dignité, c’est-à-dire de valeur inconditionnelle. Elle a en revanche un prix et octroie à son possesseur le loisir d’en disposer comme bon lui semble.
Voilà donc pourquoi les pervers narcissiques s’emploient à chosifier leurs proies. Par définition, une conscience ne peut jamais être une propriété. En effet, on ne peut pas contraindre quelqu’un à penser ou à croire. L’esprit est donc un espace de liberté ultime. Mais à force d’effractions psychiques telles les abus émotionnels, le gaslighting ou les psychotraumatismes répétés et persistants, le MPN peut parvenir à réifier sa victime de façon radicale et durable.
Pourquoi une victime de PN peut-elle être réifiée ?
Il arrive que l’imposition d’une volonté sur une autre conscience soit légitime. Dès lors qu’elle s’inscrit dans un contexte hiérarchique, il est tout à fait acceptable de se soumettre à l’autorité de quelqu’un. C’est le cas pour les enfants tenus d’obéir à leurs parents, des apprenants tributaires des directives de leurs enseignants, des employés sommés d’exécuter les demandes de leur patron, par exemple.
Mais sans subordination ni verticalité, autrement dit dans un rapport d’égalité, ou du moins d’horizontalité, qu’en est-il ? On entre dans le champ de la perception de soi-même et de l’autre. Implicitement, on instaure ce rapport de supériorité en attribuant des vertus supplémentaires à l’autre ou en estimant les nôtres insuffisantes par rapport à lui ou tout bonnement illégitimes.
Ainsi, se soumettre à la conscience d’une personne censée être votre égal, peut relever de l’asservissement, mais aussi de la passivité. Toutefois, cette dernière peut être temporaire comme lorsque l’on demande conseil à quelqu’un de plus expérimenté. On accepte donc volontairement de se mettre en position d’infériorité momentanément et de son propre chef. Une précision est cependant à noter : on ne s’incline non pas face à la personne, mais face à son niveau de connaissance. Dans ce cas, on se place en tant qu’héritier d’un savoir, ce qui, à terme, mènera à une plus grande valorisation de soi.
À l’inverse, lorsqu’il y a dénigrement intempestif et infantilisation, l’illusion d’un déséquilibre des savoirs ouvre la voie à la réification du sujet qui se soumet à la personnalité la plus écrasante ou manipulatrice.
Lutter contre les tentatives de réification, c’est-à-dire d’instauration d’un rapport de supériorité de la part de quelqu’un que l’on estime a priori illégitime se traduit par une attitude de défiance, de contradiction et par des actes d’affirmation de son libre arbitre. Autant dire que c’est tout ce qu’un MPN déteste et tentera d’étouffer chez une victime, quitte à avoir recours à la violence physique. En effet, contraindre le corps peut avoir pour finalité de contraindre l’esprit, alors ne vous leurrez pas ! Si l’on vous réduit à l’état de punchingball, sauvez votre santé mentale et faites appel à des professionnels pour vous aider à fuir de cette relation toxique