MASQUE SOCIAL : NORMOPATHIE, FAUX SELF ET PERSONNALITÉ “AS IF”

   par Pascal Couderc, psychologue, psychanalyste et auteur, président du comité scientifique de pervers-narcissique.com

Ce qui garantit la pérennité des abus pervers, c’est leur aspect insoupçonnable de l’extérieur. Le manipulateur pervers narcissique, mais aussi sa victime, sont en effet capables de donner le change pour dissimuler l’atrocité de leur relation toxique. Ils ont pour cela recours à un masque social. Normopathie, faux self et personnalité “as if” sont autant de façons de se comporter qui permettent de faire bonne figure en société. Résultat, la maltraitance émotionnelle peut perdurer au nez et à la barbe de l’entourage, le laissant le plus souvent pantois lorsque le masque tombe enfin. Focus sur ces 3 comportements de façade en partie responsables de bien des souffrances psychologiques

Qu’est-ce qu’un masque social en psychologie ?

L’appartenance au groupe a, depuis les débuts de l’Humanité, un caractère vital. C’est pourquoi nous portons tous un masque social qui relève d’une stratégie d’acceptation au sein d’un système réunissant plusieurs individus. Si cela revêt une forme de manipulation ou du moins, de distorsion de la réalité, ce n’est pas pour autant de la perversion. En tout cas, pas pour une population non-PN. La fonction de cette représentation de nous-mêmes que nous donnons à voir au monde est de s’accorder aux codes définissant le clan. Cela consiste à modifier plus ou moins fortement notre identité (personnalité, apparence, comportements) afin d’atténuer certains de nos traits considérés comme moins désirables, pour en accentuer d’autres qui augmenteraient nos chances d’inclusion. À la manière d’une vitrine de magasin, ce qui est présenté en façade peut différer légèrement ou considérablement de ce qui se trouve à l’intérieur. Ainsi, un masque social peut être bénéfique dans de nombreuses situations, mais il devient problématique dès lors qu’il menace la cohésion psychique d’un sujet. Cela se produit lorsque l’utilisation de cette représentation est trop prolongée ou systématique, au point qu’il y a une perte de connexion avec son Moi authentique.

Que l’on en ait conscience ou non, que cela soit fait intentionnellement ou non, le recours à ce qui n’est autre qu’un mécanisme de défense peut se faire dans des contextes spécifiques, comme au travail par exemple. L’image publique permet d’obtenir des avantages de 3 ordres :

  • La conformité sociale : en adoptant les normes de la société, on diminue le risque de rejet et de conflits.
  • La protection : le masquage des émotions, par exemple, peut servir de barrière entre l’extérieur et une éventuelle vulnérabilité intérieure.
  • L’atteinte d’objectifs précis : gagner la confiance ou obtenir des faveurs peut justifier de se montrer sous son meilleur jour, quitte à enjoliver la réalité interne.

Les masques sociaux ne relèvent pas spécialement d’un courant de pensée, mais certains théoriciens en psychologie en ont conceptualisé différentes formes que nous allons aborder.

Normopathie, faux self et personnalité “as if”

Les normopathes, les faux self et les personnalités “as if” utilisent certaines manières de se comporter et de se présenter en société. Bien qu’ils partagent des similitudes, il est important de savoir les différencier. Notons toutefois qu’un même sujet peut employer n’importe lequel de ces masques sociaux, dans n’importe quelle circonstance.

La normopathie

Ce néologisme vise à décrire les individus présentant une conformité excessive aux normes sociales établies, le plus souvent par peur du jugement. Ainsi, les normopathes n’hésitent pas à sacrifier leur identité, leurs désirs et leurs valeurs personnelles au profit d’une adhésion aux attentes supposées (et intériorisées) du groupe d’appartenance. Afin d’être considéré comme “normal”, le normopathe affiche souvent une attitude rigide quant au respect des règles et évite tout comportement marginal, au risque d’entraîner une insatisfaction personnelle.

C’est un masque social assez typique des pervers narcissiques qui en font usage pour mieux se fondre dans la masse, du moins lorsqu’ils sont dans une démarche de séduction et de recueil des suffrages. En effet, dès lors qu’ils laissent transparaître leur trouble de la personnalité narcissique, leurs agissements se font, au contraire, en dépit de toutes les lois, tant qu’ils servent leur intérêt purement personnel.

Le faux self

On doit au psychanalyste anglais Donald Winnicott le concept de “faux self”, c’est-à-dire de Moi factice. Cette construction d’une identité sociale artificielle permet de répondre aux attentes d’autrui. À la différence du normopathe, dont la focalisation se place à l’échelle de la société, le faux self se préoccupe des relations interpersonnelles. La composante du masquage des émotions y est donc primordiale. L’enjeu est de cacher tout aspect d’authenticité, afin de proposer une image maîtrisée de soi, censée protéger des menaces externes. Cela implique de dissimuler les véritables émotions et de présenter une façade cohérente avec ce qui est supposé attendu.

Dans le cadre d’une dynamique relationnelle gravitant autour d’un pervers narcissique, les victimes sous son emprise se conforment à sa tyrannie. Il peut s’agir du conjoint, des subalternes au travail, mais surtout des enfants ou des beaux-enfants qui développeront un faux self susceptible de les poursuivre toute leur vie. L’invalidation émotionnelle subie au quotidien avec un manipulateur les rend confus vis-à-vis de leur vie intérieure. Cela augmente leur besoin de s’accrocher à des règles solides, quitte à ce qu’elles soient fantasques et à dessein malveillant. Cela rend en quelque sorte la victime complice de son bourreau et renforce, de fait, sa dépendance et donc, sa soumission. De plus, présenter un faux self heureux en public alors que l’on subit des maltraitances en privé participe à l’isolement, l’un des piliers de la manipulation mentale.

On peut considérer qu’il existe 2 types de faux selfs : les robots et les caméléons.

Les premiers agissent de façon automatique, comme déconnectés de leur conscience. Ils ne se posent plus de questions et font ce que l’on attend d’eux sans remise en cause. Cela leur épargne d’éventuels reproches et les maintient dans une certaine zone de confort. Le problème, c’est qu’intérieurement, ces sujets-robots sont comme vides. Cela les rend potentiellement vulnérables aux intrusions psychiques, que ce soit par une atteinte venue de l’extérieur ou par une tentative intérieure de se manifester à la conscience, parfois par le biais de la psychosomatisation comme avec la fibromyalgie, par exemple. Cette robotisation des actes peut mener à une dépersonnalisation / déréalisation.

Les caméléons sont, quant à eux, des faux selfs qui s’adaptent à toutes les situations. Ce sont typiquement ceux qui retournent leur veste très facilement et adoptent les codes de n’importe quel groupe visé avec beaucoup d’aisance. Quelqu’un qui assisterait de loin à ces variations pourrait dire d’un faux self caméléon qu’il possède plusieurs personnalités. En réalité, il change juste de masque social comme de chaussettes, mais sa véritable identité peut se perdre en cours de route.

La personnalité “as if”

À un degré plus dissonant que le faux self, on trouve la personnalité “as if”, conceptualisée par le psychologue et psychiatre allemand Hans Vaihinger. Il s’agit d’agir selon un comportement en contradiction avec ses croyances. Cela relève d’une forme de déni, ou plutôt de dénégation, car le sujet peut reconnaître intellectuellement son intériorité et choisir malgré tout d’agir à l’encontre de celle-ci.

Celui qui use de ce type de masque social peut par exemple se comporter “comme si” il était joyeux, alors qu’il est triste. Il s’agit le plus souvent d’une stratégie d’adaptation pour faire face à des circonstances difficiles ou dans le but d’atteindre des objectifs personnels. Toutefois, l’opposition entre le comportement manifesté et les véritables pensées et émotions ressenties peut mener à la dissonance cognitive. Les pervers narcissiques, tout comme leurs victimes, peuvent développer des traits de personnalité “as if”. Cependant, le PN aura plus facilement tendance à en maîtriser les inconvénients, tandis qu’une personne en proie à l’emprise se trouvera dans la souffrance psychologique. En effet, elle peut tenter de préserver une certaine stabilité dans la relation ou de minimiser les abus en agissant comme si elle acceptait les fausses réalités qui lui sont imposées, tout en les sachant pertinemment erronées. Cela relève alors de l’instinct de survie, mais qui doit servir de déclic pour quitter le MPN pour ne pas causer davantage de détresse psychique.

Le masque social, entre normopathie, faux self et personnalité “as if” permet de se conformer aux attentes de l’extérieur. Celles-ci peuvent être de l’ordre des normes sociales ou des modes de relations interpersonnelles, soit en décalage avec notre vécu intérieur (émotions, pensées) soit en contradiction. Il ne s’agit pas de troubles psychologiques, puisque ces façons de se présenter à autrui ont leur utilité. Toutefois, elles peuvent conduire à des problèmes d’adaptation sociale, d’estime de soi, de cohésion psychique, etc. Si vous pensez vous être déconnecté de votre intériorité en exposant une façade trop éloignée de la réalité, un psy qualifié saura vous accompagner vers un retour à plus d’authenticité et donc, plus de plénitude.