Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi l’abus émotionnel était le fer de lance du PN ? En quoi cela lui sert-il de jouer avec vos émois ? Outre lui apporter le plaisir de vous mettre dans tous vos états, il y a une raison stratégique derrière cela. Émotions et manipulation forment une équipe de choc pour perturber votre capacité à prendre des décisions et à agir. Si vous vous demandez encore pourquoi vous supportez tout ça, c’est dans cet article que vous en découvrirez l’explication.

Qu’est-ce qu’une émotion ?

Les émotions et la manipulation jouent un rôle crucial dans la mise en place de la relation d’emprise. Mais la bonne compréhension du phénomène émotionnel étant l’objet de cet article, commençons par des éléments de définition.

Émotion, sensation, humeur, sentiment, affect : quelles différences ?

Dans le langage courant, les termes d’émotion, d’affect, d’humeur, de sensation ou de sentiment sont fréquemment utilisés comme tous synonymes entre eux. Pourtant, ils possèdent chacun leurs caractéristiques :

  • L’émotion est une réaction physiologique interne brève à un stimulus externe. Elle dépend aussi de plusieurs facteurs que nous détaillerons plus loin.
  • La sensation correspond également à une réponse physiologique due à un facteur contextuel, mais elle implique l’intervention active d’au moins l’un des cinq sens (la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher, le goût) et se manifeste tant que le sujet est exposé au stimulus.
  • L’humeur se caractérise par sa durée plus étendue que celle de l’émotion, sa moindre intensité et du fait de qu’elle soit indépendante d’un facteur extérieur.
  • Le sentiment est une combinaison faite d’émotion et d’imaginaire. Par exemple, le sentiment amoureux s’attache à la fois à la tendresse ressentie envers quelqu’un et la construction mentale que l’on se fait de lui et de la relation.
  • L’affect, sans rentrer dans les considérations psychanalytiques, rassemble tous les émois qu’éprouve un individu. Pour simplifier au maximum, c’est un concept au sens large qui englobe les autres notions et s’oppose à l’intellect.

Ainsi, si l’émotion est dépendante d’un déclencheur, mais qu’elle s’en émancipe par sa durée brève (de quelques secondes à quelques minutes), en quoi constitue-t-elle un levier de manipulation ?    

Comment se traduit l’état émotionnel ?

Nous venons de voir que l’émotion était une réponse physiologique à un stimulus. Selon les différents courants de pensée, il en existe plusieurs types, mais nous retiendrons les plus connus, à savoir :

  • la peur
  • la colère
  • le dégoût
  • la tristesse
  • la surprise
  • la joie
  • le mépris

La fonction de ces émotions est de marquer le début d’une cascade réactionnelle particulièrement importante. 

La réaction corporelle

Le stimulus génère un ensemble de manifestations corporelles qui constitue l’émotion :

  • un changement de l’expression motrice (faciale, vocale, posturale) ;
  • une adaptation du système nerveux périphérique (rougeur, changement de rythme cardiaque et respiratoire, larmes, sudation) ;
  • une tendance à l’action (s’approcher de l’objet qui provoque une émotion positive, s’éloigner de celui qui induit une réponse émotionnelle négative) ;
  • un sentiment subjectif qui témoigne de la conscience de l’émotion (souvent confirmé par une verbalisation de type “je suis fâché” ou “je suis content”).

À noter qu’une émotion n’est pas de l’ordre du réflexe par son caractère hautement subjectif.

Le traitement cognitif

La subjectivité de l’émotion donne une diversité de réactions individuelles à un même stimulus. Ainsi, il est impossible de prédire l’effet qu’aura un même élément déclencheur sur différents sujets. Pour attribuer une valence positive ou négative à une émotion, il faut que d’autres facteurs entrent en jeu.

Le contexte

L’utilisation d’indices environnementaux permet de reconnaître l’état émotionnel qui nous traverse. Il peut s’agir du contexte d’une scène comme de l’interprétation de l’expression faciale chez autrui. Voir deux hommes politiques se serrer la main pourra n’avoir aucun effet, tandis que s’il s’agit de son président et d’un dictateur notoire, la scène pourra susciter la colère, par exemple. De même, lire une émotion sur un visage (compétence présente dès le plus jeune âge et mise en évidence par l’expérience de la falaise visuelle) engendrera presque inévitablement une réponse similaire chez soi, par effet de contagion émotionnelle. 

Les motivations personnelles

Un autre facteur déterminant pour décider si nous devons ressentir par exemple de la joie ou de la colère face à une situation correspond à nos motivations propres et à notre implication. En quoi le stimulus résonne-t-il avec nos intérêts ou nos valeurs ? Seulement ce qui est important pour nous est susceptible de faire naître une émotion. Le sauvetage d’un bébé chien pourra profondément émouvoir un ami des bêtes, tandis qu’il ne fera ni chaud ni froid à d’autres personnes.

Le potentiel de maîtrise

Dans quelle mesure maîtrise-t-on la survenue du stimulus et ses conséquences ? Si nous pensons pouvoir gérer l’événement et ses suites, il y a de fortes chances que nous lui attribuions une émotion positive. Ce sera l’inverse si l’on se sent dépassé.

Manipulation des émotions = manipulation des actions

L’état émotionnel que provoque un facteur externe sert avant tout à déclencher une prise de position entre les différentes options et donc potentiellement, une action. Il en va de notre survie de réussir à identifier un danger comme terrifiant et, en conséquence, de le fuir. De même, un ressenti positif face à une situation qui va dans le sens de nos objectifs nous poussera à la prise de décision, surtout si nous évaluons s es répercussions comme gérables.

L’influence des émotions sur la prise de décision

Nous venons de voir que la réponse physiologique au stimulus externe appelait un processus évaluatif qui permettait de catégoriser l’émotion. Émotion et cognition semblent ainsi indissociables. Ce constat va à l’encontre des anciennes croyances, véhiculées notamment par Platon et Descartes qui considéraient les fluctuations émotionnelles comme des ennemis de la raison.
Depuis une soixantaine d’années, les études scientifiques ont largement prouvé que, loin d’interférer avec le raisonnement, les émotions faciliteraient même les mécanismes d’apprentissage, particulièrement dans les tâches d’acquisition et de stockage des connaissances. La neurobiologie l’explique en partie par la proximité physique entre l’amygdale (partie du cerveau en lien avec les émotions) et l’hippocampe (siège cérébral de la mémoire). Ainsi, la différenciation entre un prétendu cerveau émotionnel (soit le système limbique) et un cerveau rationnel n’est plus pertinente.

En définitive, les émotions permettent une réponse peu couteuse à nos ressources cognitives pour prendre des décisions plus rapidement. D’ailleurs, nous faisons tellement confiance à cette sorte d’instinct qu’il peut nous induire en erreur. Le problème, c’est qu’en tant qu’état transitoire, il est facilement modulable et donc, manipulable. C’est un enjeu majeur pour (entre autres) les politiques, les publicitaires et les pervers narcissiques.

L’émotion incidente, cible des manipulateurs

Nous possédons un répertoire d’expressions émotionnelles qui nous est propre, on parle alors d’émotions intégrées. Ce sont elles qui facilitent le plus souvent nos décisions instinctives telles que le choix d’acheter tel parfum ou de commander tel plat du menu.
Par contre, nous pouvons voir nos capacités décisionnelles être influencées par des émotions incidentes. Celles-ci ne sont pas déclenchées directement par la situation, mais plutôt induites, intentionnellement ou non. Elles ont le pouvoir de fausser l’évaluation cognitive de l’événement et, en ce sens, devraient être évitées.

Par exemple, si vous voyez un spot de prévention contre la vitesse au volant mettant en scène un accident grave et que vous éprouvez de la peur, celle-ci peut-être de deux ordres : soit elle est intégrée, parce que vous redoutez réellement de subir une telle tragédie, soit elle est incidente, parce que vous vous laissez influencer par les acteurs qui jouent un air terrifié. Vous voyez maintenant que les exemples de manipulation volontaire d’émotions incidentes se trouvent partout : dans les films, dans les arguments de vente, dans les discours électoraux.

C’est en amenant un certain état émotionnel chez un sujet cible qu’il est possible de captiver son attention et d’interférer avec ses décisions et les actions qui en découlent.

L’abus émotionnel et l’incapacité d’action

Dans le cas précis de la manipulation sentimentale, tout le gaslighting et l’invalidation émotionnelle que fait subir un MPN à sa proie brouillent complètement ses ressentis et ses fonctions évaluatives. De plus, sans cesse abreuvée par l’idée que sa situation serait pire ailleurs, elle vit dans la crainte de quitter son bourreau. Il est d’ailleurs scientifiquement prouvé que l’émotion de peur entraînait la tendance à écarter les options risquées, telles qu’affronter l’inconnu d’une nouvelle vie loin de lui. Ainsi, vous voyez bien en quoi instiller un état permanent d’inquiétude donne aux pervers narcissiques tant de pouvoir.                          

Si tout le monde comprenait la dangerosité de la combinaison entre émotions et manipulation, il serait bien plus facile d’expliquer l’emprise sentimentale. Surtout, les gens s’intéresseraient d’autant plus à l’importance d’autoréguler ses affects avant de prendre des décisions. Développer son intelligence émotionnelle, notamment par l’éducation, aide à être davantage maître de son destin. Reconnaître et apprivoiser ses émois est d’ailleurs l’un des plus grands bénéfices de la psychothérapie.