Le suicide forcé est un terme qui peut induire en erreur. Il ne s’agit pas ici d’exercer une contrainte physique pour pousser une victime à mettre fin à ses jours. Il est plutôt question de l’amener sournoisement à la conclusion que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue. L’acte suicidaire est donc forcé dans le sens qu’il n’aurait pas eu lieu sans l’intervention d’un tiers, ce qui le rapproche davantage du meurtre par incitation au suicide. Mais là où réside toute la difficulté de sa reconnaissance, c’est qu’il a l’air d’un choix délibéré. Penchons-nous sur un inquiétant phénomène encore trop méconnu.
Avant-propos
Dans cet article, nous abordons le suicide forcé en nous concentrant sur le cadre des violences conjugales. Sachez toutefois que les suicides corrélés au harcèlement moral se comptent également en milieu scolaire ou encore professionnel, comme France Telecom en est devenu le triste symbole. De plus, les positions de management étant souvent favorables à la perversion, ce qui va être dit peut tout à fait être applicable au contexte de travail.
En outre, la grande majorité des victimes sous une pression morale ayant attenté à leurs jours sont des femmes. Par conséquent, c’est le féminin qui sera utilisé ici, tout en notant que les hommes peuvent indubitablement se trouver en proie avec les mêmes problématiques et donc, les mêmes risques pour leur vie.
De la vie à la mort, parcours d’une victime de violence
Nous le savons que trop bien : les victimes de manipulateurs pervers sont, à la base, des personnes généreuses, gaies, pleines de vie et de projets. Comment finissent-elles donc par n’avoir d’autre solution que de vouloir se tuer ?
Avant l’envie de mourir, il y avait l’envie d’aimer
C’est terrible à dire, mais le suicide forcé part en général d’une furieuse envie d’aimer et d’être aimée en retour, ou du moins d’être reconnue. Il n’y avait donc pas de pulsion de mort présente avant la rencontre avec le tortionnaire. Ce postulat est très important.
Les victimes se soumettent à la volonté d’un partenaire par désir de construire un projet de vie à deux, et certainement pas pour provoquer, à terme, leur propre perte. Le problème, c’est que leur chemin croise celui d’un malade mental, d’un être machiavélique qui se délecte de la descente aux enfers qu’il leur réserve, sans avoir l’air d’en être l’instigateur.
À l’origine de la destruction de l’instinct de survie, il y a donc l’emprise psychologique. Elle est instaurée par un manipulateur sadique, sur le lit d’une dépendance affective souvent latente chez sa proie. Cette codépendance est le résultat ô combien courant de la faille narcissique vécue dans la petite enfance. Nous parlons de façon récurrente de ces thèmes dès qu’il s’agit de comprendre pourquoi un pervers narcissique a choisi telle personne et non une autre. Nous vous invitons donc à consulter nos autres contenus (écrits, audio ou vidéo) en accès libre et gratuit, pour bien saisir les tenants et les aboutissants d’une telle dynamique relationnelle.
Pourquoi en finir avec la vie, plutôt qu’en finir avec la relation toxique ?
Tout d’abord, mentionnons que les suicides forcés interviennent majoritairement dans le cadre de la séparation du couple dysfonctionnel. Il ne s’agit donc pas simplement de “couper les ponts” avec l’agresseur pour sauver sa peau, mais bien de comprendre le cheminement mental d’une personne ayant été abusée psychologiquement sur de longues périodes.
La mise en place de la soumission psychologique est toujours savamment orchestrée. En bon prédateur, le MPN procède prudemment. Il pose les jalons de son piège en toute discrétion et ne le referme que lorsqu’il est certain de son infaillibilité. On peut simplifier son mode opératoire en 3 grandes phases :
- Il aveugle d’abord sa victime lors d’une période assez courte et exaltante appelée la “lune de miel”, durant laquelle tout est bien, tout est beau.
- Il introduit ensuite les micromanipulations et le gaslighting qui sont à la fois des tests de soumission et des effractions mentales.
- Il atteint enfin le niveau de l’abus émotionnel, voire de la violence physique, capable de tenir des années durant, jusqu’à ce que mort psychique ou physique s’ensuive.
Il faut bien comprendre qu’avec cette progression insidieuse, il devient quasiment impossible pour la proie d’échapper au sort qui lui était réservé dès le début. L’envahissement par le bourreau de sa vie personnelle, sociale, professionnelle, financière et familiale la prive de ressources extérieures pour se rendre compte du degré d’aliénation dont elle est l’objet. Elle finit par être convaincue que sa situation est le reflet de ce qu’elle mérite. Pire, elle pense en être responsable ! Et parfois, la culpabilité devient si lourde à porter, que l’unique échappatoire est d’en finir avec la vie. Bien entendu, la seule impression d’être responsable de son malheur ne suffit pas à expliquer un suicide. Un tel geste désespéré peut aussi être interprété comme un ultime sursaut de reprise de contrôle, ou bien comme un épuisement psychique tel que le repos éternel semble la meilleure issue. Chaque cas sera différent, rendant la reconnaissance du suicide forcé d’autant plus compliqué.
Le suicide forcé et sa reconnaissance
Une victime de violence conjugale, qui plus est dans le cas d’une exposition prolongée sur de nombreuses années, développe toutes sortes de troubles. Parmi ceux-ci, il y a bien entendu l’état de stress post-traumatique, mais aussi la perte de discernement, les troubles alimentaires, du sommeil ou du comportement, ainsi que la dépression, voire la somatisation. Par conséquent, elle est perçue comme vulnérable, psychologiquement instable et fragile, bien avant son ultime geste. Prouver qu’il y a un autre responsable à son acte final relève du parcours du combattant.
L’impression d’abandon
Le coup de grâce qui tend à précipiter l’acte suicidaire vient d’ailleurs souvent de l’impression d’être abandonnée à son sort par les amis, la famille ou la société. Il suffit parfois qu’en tentant d’alerter sur sa situation, la victime se heurte à l’incrédulité de l’entourage, du corps médical ou encore des instances judiciaires (police, juge, etc.) et elle pourra d’effondrer pour de bon.
Soulignons à ce sujet la mauvaise compréhension de la tentative de suicide dans un tel contexte. Il ne s’agit aucunement d’un appel au secours, mais bien d’un essai raté ! Il ne faut jamais minimiser un tel geste, car la victime mènera certainement d’autres attentats à sa propre vie, probablement avec une connaissance et une détermination plus grandes encore.
Que dit la loi du suicide forcé ?
Avant la loi du 30 juillet 2020, les coupables de harcèlement moral ne pouvaient être reconnus comme tels que par le biais d’ITT (Incapacité Totale de Travail) délivrées par un médecin. Les sanctions n’excédaient pas 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende. Mais en cas de décès de la victime, ce dispositif devenait inapplicable. Cela déniait non seulement le statut de victime à la personne décédée, ce qui occasionnait une grande souffrance pour ses proches, mais surtout, le statut de coupable à son agresseur ! Le suicide forcé n’avait pas d’existence au vu du droit.
Depuis, l’article 222-33-2-1 du code pénal stipule que “Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 € d’amende lorsque le harcèlement a conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider.” Il s’agit là d’une avancée majeure dans la reconnaissance des violences morales qui fait de la France la pionnière en Europe.
Dans la pratique, il reste encore beaucoup à faire pour lutter contre ce fléau qui toucherait plus de 200 Françaises par an. Cela passe par une meilleure sensibilisation du public, par une prise en charge des victimes plus adaptée, et par la mise à disposition de plus grands moyens d’investigation. En cas de suicide ou de mort douteuse, une autopsie psychologique, c’est-à-dire une enquête post mortem approfondie sur le parcours psychologique de la défunte, devrait être systématique. Cela permettrait de mettre en évidence les éventuels liens de causalité entre les abus émotionnels et le décès.
Le suicide forcé ou le meurtre par incitation au suicide est une réalité qui n’est plus ignorée par la loi. Toutefois, l’application de celle-ci est difficile et la prévention reste le meilleur moyen de combattre le phénomène. Plus que jamais, il faut être attentif aux dangers de l’isolement, car c’est par ce biais que les plus grandes tragédies se nouent. Si vous connaissez quelqu’un ou pensez vous trouver vous-même en situation d’enfermement mental, faites votre maximum pour maintenir des liens de contact. N’hésitez pas à vous tourner vers les professionnels en cas de besoin. Le 3114 est le numéro national de prévention du suicide et le 3919 est celui des violences conjugales. Tous deux sont gratuits et accessibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.