“IL DIT QUE JE SUIS TROP SENSIBLE” | UN JEU DE DÉNIGREMENT DU PN
“Il dit que je suis trop sensible” est une attaque récurrente rapportée par les victimes de pervers narcissiques, qui mène à la déconcertante invalidation émotionnelle. Mais curieusement, il s’agit là souvent d’un jugement partagé par les deux parties opposées. Ainsi, la personne qui a subi la domination sentimentale acquiesce à cette sentence et admet volontiers qu’il y a là une part de vérité, voire que c’est la cause originelle des ennuis du couple dysfonctionnel. Mais si cette analyse a l’air plausible, est-elle pour autant vraie ? Penchons-nous sur cette question afin de déconstruire l’un des plus grands mécanismes de la manipulation perverse : le dénigrement.
Être trop émotive : un jugement de valeur infondé
Commençons par un peu de philosophie, merveilleuse discipline qui consiste à s’interroger pour trouver des réponses solides et inattaquables en s’affranchissant des débats d’opinion stériles. La proposition du PN affirmant que vous êtes trop sensible semble valide, car elle ne présente pas d’absurdité. Mais est-elle vraie pour autant ?
Si l’on procède avec méthode pour analyser la phrase, être “trop” ou “pas assez”, c’est un jugement de valeur qui suppose une comparaison quantifiable. On est “plus que” ou “moins que”, et la différence est effectivement mesurable, sinon ça n’a pas de sens, n’est-ce pas ? On note déjà là que ce postulat s’effondre de lui-même, mais poussons la réflexion.
Avec qui le pervers narcissique vous compare-t-il lorsqu’il vous condamne pour ne pas être dans la norme qu’il attendait ? Sur quoi se base-t-il pour établir cette jauge ? Êtes-vous plus nerveusement fragile que lui ? Que ses ex ? Que sa mère ou sa sœur ? Que la moyenne de la population ? Que ce que vous étiez auparavant ? Vous voyez bien que son appréciation de votre sensibilité est tout à fait subjective et donc, parfaitement discutable si ce n’est entièrement réfutable. Mais cela n’explique pas pourquoi vous le croyez….
“Il dit que je suis trop sensible” et “Je suis trop sensible”, ce n’est pas la même chose !
Les prédateurs sentimentaux ont coutume de reprocher à leurs proies leurs agissements et leurs traits de caractère. Dans un deuxième temps, ils obtiennent ensuite que celles-ci adhèrent à leur jugement. Cela fait partie du processus de mise sous emprise affective.
Pourquoi vous-même vous croyez trop à fleur de peau ?
Tout d’abord, nous ne réfutons pas en bloc l’idée que vous soyez peut-être une personne à l’émotivité exacerbée. Nous n’écartons pas non plus la possibilité que vous présentiez un profil dit “hypersensible”. Là n’est pas le débat. Il s’agit de remettre avant tout en question le cheminement par lequel vous en êtes arrivée à cette acceptation. Vous définissiez-vous de la sorte avant d’être en couple avec un manipulateur pervers ou est-ce lui qui a fini par vous convaincre ? Autrement dit, cette croyance vous appartient-elle ou vous a-t-elle été inculquée par lui ? Apporter une réponse à cette interrogation n’est pas crucial, mais cela peut vous aider à vous rendre compte du degré de soumission dans lequel vous vous trouvez. En effet, dans le fond, que vous vous pensiez depuis toujours exagérément vulnérable d’un point de vue émotionnel ou que ce soit le fruit d’un gaslighting bien mené, cette autodévalorisation est de toute façon bien utile au manipulateur.
Pourquoi vous reproche-t-il votre sensibilité ?
Le dénigrement est une technique manipulatoire utilisée à outrance par les conjoints, parents et collègues de travail toxiques machiavéliques. En vous taxant d’être “trop ceci” ou “pas assez cela”, il vise à vous diminuer et à démolir votre confiance en vous. Cela vous mène donc à vous remettre en question, mais également à vous fier à son appréciation qui s’étend peu à peu à tous les sujets. Bientôt, votre famille, vos amis, votre travail sont taxés, eux aussi, de “trop” et “pas assez”, tout cela pour vous mener à la rupture du lien social, à l’isolement et à la dépendance.
En philosophie, on parle d’argument d’autorité pour dénoncer un type de démonstration erronée qui repose sur notre propre appréciation subjective (et donc infondée) de l’orateur. “Si c’est lui qui le dit, alors c’est vrai, puisque je lui fais confiance”. Et on en oublie de remettre en cause la véracité des propos.
Enfin, affirmer des opinions qui sonnent comme des condamnations fait appel à un autre processus d’influence psychologique que Robert-Vincent Joule a nommé la “naturalisation”. Il s’agit là d’étiqueter un sujet de telle sorte qu’il finit par se convaincre que cette labellisation lui correspond effectivement. En d’autres termes, à force de vous dire que vous êtes trop sensible, vous adoptez le comportement dont on vous accuse et vous devenez de fait trop sensible.
Une grande sensibilité est-elle une faiblesse ou une force ?
Maintenant que nous avons débattu de la recevabilité des dires du MPN en mettant en lumière ses intentions cachées, interrogeons-nous sur la teneur de cette accusation.
Avantages à être émotif
Est-il si mauvais que cela d’être réputé trop sensible ? La question sonne volontairement comme une provocation, car en réalité, il n’y a aucun attribut, ni négatif ni positif, à inférer à votre niveau d’émotivité. Il est ce qu’il est à un instant précis et peut varier grandement en fonction de votre vécu, mais aussi de votre état physiologie du moment ou de votre environnement actuel. Par ailleurs, la faculté de ressentir et d’exprimer nos divers affects relève d’une compétence sociale qui présente plusieurs avantages comme :
- Améliorer les relations interpersonnelles. C’est en comprenant ses propres émois que l’on est capable de les reconnaître chez les autres.
- Avoir une meilleure gestion de ses émotions en étant conscient de leur caractère passager.
- Faire preuve d’empathie et de solidarité.
- Une meilleure appréciation des choses positives de la vie.
- Une plus grande créativité et authenticité.
Réprimer ses émotions est hautement nocif, puisque cela peut mener à une psychosomatisation bien plus délétère pour la santé. S’autoriser à laisser les affects nous traverser permet de les évacuer, à condition de ne pas se laisser submerger.
Inconvénients d’une trop grande sensibilité
Lorsqu’une sensibilité débordante devient effectivement lourde à porter, cela peut présenter des inconvénients comme :
- Une vulnérabilité face aux situations de stress, à l’anxiété et au risque de dépression.
- Une difficulté à gérer les conflits ou bien les environnements ou les événements sous tension.
- Une tendance à l’autocritique et à la dévalorisation, voire à l’hyponarcissisme.
- Une propension à subir la manipulation affective et les abus émotionnels.
- Une mauvaise tolérance aux stimuli venant du bruit, des odeurs et des lumières vives, favorisant l’isolement, voire les troubles du comportement.
- Une fatigabilité plus importante, cumulant la sursollicitation nerveuse et les difficultés à se ressourcer.
Dans tous les cas, l’excès d’émotivité, surtout s’il est devenu invalidant, est un problème qui nécessite une démarche thérapeutique. L’accompagnement d’un psy est tout à fait indiqué pour apprendre à maîtriser ses émotions. Il ne s’agit évidemment pas de les supprimer, mais bien d’apprendre à les vivre sans se laisser envahir pour rester dans un certain contrôle de soi-même.
Sous la forme “Il dit que je suis trop sensible” ou “je suis trop sensible”, nombreuses sont les victimes de MPN à avoir appris en consultation psychologique à regarder au-delà de cette sentence. D’une part, notre degré de sensibilité n’a rien de figé et d’autre part, il est inhérent à notre condition d’être humain, à tel point que l’on peut en faire une véritable force. Un pervers narcissique reprochera toujours à sa proie sa grande émotivité parce qu’au fond, c’est une compétence qu’il lui jalouse. Lui qui ne ressent rien et est dépourvu de cette faculté à se connecter à un niveau profond de sensibilité ne voit dans votre façon de vibrer de tout votre être aux sollicitations externes qu’une nouvelle preuve de sa vacuité.